Les retards sont normaux dans un projet, a fortiori pour un avion de cette taille qui, avec 10,7 milliards de dollars d'investissement (8,5 milliards d'euros), représente l'équivalent du coût du tunnel sous la Manche. UNE CONCEPTION TRANSNATIONALE http://www.lemonde.fr/web/article/...-3234,36-785804@51-783212,0.html "Il ne faut pas jeter l'A380 avec l'eau du bain." Cette formule, reprise par Michèle Alliot-Marie, la ministre de la défense, dimanche 18 juin sur LCI, illustre bien la situation. Il le faut d'autant moins qu'il ne s'agit pas d'un problème de conception mais de fabrication. "Les appareils ont déjà effectué plus de 1 400 heures de vols et plus de 950 décollages", affirme Airbus. D'ailleurs, aucune des seize compagnies clientes n'a annulé ses commandes - 159 à ce jour.
C'est en décembre 2000, six mois après sa création, qu'EADS, né de la fusion du français Aerospatiale Matra, de l'allemand Dasa et de l'espagnol Casa, autorise sa filiale Airbus à lancer l'A380 pour concurrencer le 747 du rival Boeing. Le groupe américain occupe seul le marché des gros-porteurs depuis trente ans.
Le projet A380 a entraîné une modification structurelle d'Airbus. De consortium européen, regroupant Français, Allemands, Anglais et Espagnols, Airbus a été transformé en une société intégrée, pour coordonner et rationaliser les opérations et optimiser les installations. L'avion a été découpé en plusieurs tronçons, attribués selon les compétences traditionnelles de chacun : aux Britanniques, la voilure, aux Français, la partie avant et centrale du fuselage, aux Allemands, l'arrière et aux Espagnols, l'empennage et la dérive. L'assemblage a lieu sur le site de Toulouse, préféré à Hambourg après une sévère compétition.
Chaque pays doit livrer des équipements complets. "D'une organisation nationale, nous sommes passés à une conception transnationale", expliquait Charles Champion, le responsable du projet - 6 500 ingénieurs sont mobilisés - qui aboutira en 2004, à l'assemblage du premier appareil, à son premier vol en 2005.
UNE PRODUCTION EN SÉRIE DÉLICATE
Dès le départ, la production en série s'annonce délicate. Première difficulté : l'A380 n'est pas le seul projet en cours. Airbus développe simultanément un avion militaire, l'A400 M, travaille sur un long courrier de 300 places, l'A350, destiné à répondre au futur 787 de Boeing. Le groupe doit beaucoup embaucher. Airbus en France, qui emploie 21 900 personnes a recruté en trois ans 5 200 salariés. L'Allemagne en a recruté 4 100 et porté ses effectifs à 20 400. Sur la même période, la firme a été confrontée à de constants départs, moins nombreux que les embauches, mais a perdu des compétences.
L'autre problème tient à une mauvaise coordination, due notamment au manque d'utilisation d'outils informatiques communs. "On a voulu faire une société intégrée, on n'y est pas encore, constate Jean-François Knepper, coprésident du comité européen d'Airbus et délégué central Force ouvrière. Auparavant, quand nous étions un consortium, chacune des sociétés livrait des produits à Toulouse et s'attachait à faire mieux que l'autre. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, car les responsabilités ne sont pas clairement définies."
Le rythme des cadences de production est un autre souci. Chez EADS, on commence à reconnaître avoir péché par excès d'optimisme. Or, le gigantisme du projet aurait certainement dû inciter à plus de prudence. Un exemple, alors qu'un A320 nécessite 100 kilomètres de câbles, il en faut 500, avec 300 000 points de connexion, pour un A380. Cette complexité tient, pour partie, aux spécificités des compagnies aériennes qui souhaitent offrir à leurs passagers, connexion Internet, téléphone, jeux, cinéma, etc.
Pour tenir le rythme, les responsables d'usines ont parfois préféré expédier des pièces non totalement câblées, à charge pour l'usine de Toulouse de les reprendre sur place. Ces travaux s'ajoutent aux ajustements normaux et aux modifications décidées après les essais en vol. Résultat, aux côtés des 1 100 Français affectés à l'assemblage, travaillent aujourd'hui des Allemands, des Anglais et des Espagnols, plus nombreux que pour une mise en service normale. Face à cet engorgement, les livraisons ont été stoppées depuis plusieurs semaines. La multiplicité des sites - seize en Europe - n'est pas en cause, mais plutôt les méthodes de travail. Ainsi, le patron d'Airbus Allemagne, Gerhard Puttfarcken, dans un entretien à Die Welt, samedi 17 juin, a reconnu que le site de Hambourg avait une part de responsabilité dans les retards.
VERS UNE MUE EN PROFONDEUR
Depuis plusieurs mois, le spécialiste du conseil McKinsey travaille à résoudre ces problèmes. Parallèlement, les dirigeants d'Airbus et d'EADS réfléchissent à une mue en profondeur du constructeur, conscients que ce dernier, passé en quelques années de 20 % à 50 % du marché mondial, traverse une sévère crise de croissance. Il s'agit, pour les prochains modèles, de changer la méthode de conception des avions en utilisant davantage de maquettes numériques virtuelles, comme Boeing avec le 787 et le 777 et Dassault Aviation pour le 7X. L'objectif est de réduire de 40 % le temps entre conception et production. La fabrication de certaines pièces serait sous-traitée en France et en Europe, pour qu'Airbus se concentre sur le coeur de son métier, la conception et l'innovation.
Auparavant, Airbus doit donner un signe fort pour la production de l'A380. Surtout que Boeing a beau connaître des déboires avec son 787, nul ne lui en tient pour le moment rigueur . Dominique Gallois
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